2018-09-24

T807 - Ô saule, ami haut.



« Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où,
le Héron au long bec emmanché d’un long cou. »
Ainsi s’interrogeait Jean de La Fontaine.

Le héron errant tournait-il en rond ?
Belle interrogation !

« Hé, Jeannot ! - l’apostropha au passage l’impertinent Pierrot -
Ch’ peux t’ refiler un tuyau servi tout chaud par la Maison Poulbot :
Il s’en va retrouver un perdu de vue ancien poteau. »

En leur prime jeunesse, arbre et oiseau furent proches voisins
Chacun de modeste condition. A l’origine un œuf, une graine.
Pour le héron, un coup de Papa à Maman
Pour le saule, un coup de vent.

Côte à côte, à leur façon, ils avaient grandi.
L’un s’affina, tout fut fin et long chez lui,
l’autre prit, touffu, hauteur, volume et s’épaissit.

Au fil du temps, fatalement, leurs voies avaient bifurquées.
Le saule, trapu et feuillu, assigné à résidence, figé pour l’éternité,
Le héron, libre de mouvement, parcourant ciel et terre comme le font les ailés.
L’arbre, sagement, prospère et pépère s’était rangé des affaires
L’échassier pour sa part n’avait eu de cesse de s’envoyer en l’air.

Certain jour, sonna l’heure de leurs retrouvailles.



Le héron, le géant vert asticota et taquina, même un peu au-delà :

« Depuis ce jour où tu as vu le jour
Pas plus d’un pouce que d’un doigt de pied tu n’auras bougé, mon balourd.
N’as-tu jamais dans les jambes ressenti des fourmis, gros engourdi ?
Tu aurais pu voir du pays, te faire des amis et mieux, des petites amies.
Aller loin t’aurait évité cet embonpoint.
Seulement voilà, enraciné, tu n’en fis rien.
Moi, qui suis adepte de l’exercice quotidien,
n’envies-tu pas ce jour ma taille et mon maintien ?

-  Certes, je suis quelque peu massif côté ramure
Mais qui cela gêne ? Je ne fais pas souffrir outre mesure la nature.
Chez moi, chacun peut trouver gîte et nourriture
Altruiste je suis, nullement égoïste. J’accueille les bouvreuils
et toutes sortes de passeraux, pies et corbeaux, des écureuils
J’offre volontiers mon tronc en support aux plantes grimpantes
qui se désespérent d’être rampantes
Toi, tu vas, tu viens, dans les airs montes et sur terre redescends
L’air supérieur, du matin au soir, indifférent, fier comme Artaban
Reste planté des heures à guetter tes menues proies d’un œil rond
semant la terreur chez les batraciens et la gent poisson.

Le divin commandement  « Tu ne tueras point » aurais-tu oublié ?
 A l’heure du jugement dernier, au soir du grand soir,
À ton avis, qui sera bon à griller dans l’infernale rôtissoire,
pour l’éternité condamné et damné ? 
Penses-y dès aujourd’hui mon cher ami. »

C’est alors qu’on retrouve au bon moment le bon J de La F,
- spécialiste reconnu en conclusions -
Rencontre opportune, piquons-lui sans vergogne une citation :

« Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger des gens sur la mine. »

*** fin ***

2018-09-17

T806 - L'apprentissage.


" Le Big Boss veut qu'on fasse des marmots
Chéri, il va falloir dare-dare se mettre au boulot.
Pour respecter le divin règlement, en avant ! "
déclara l'impétueuse et sulfureuse Ève au placide Adam.

D.R

« Misère ! j'ai égaré la notice dans le Jardin des Délices !
rétorqua piteusement l'étourdi mari.
Au nom du Père et du fils  
Nous ignorons quel orifice fera bon office ?
Qu’est-ce donc là chez moi ces bosses, chez toi tous ces trous ?
Que faire et qu'en faire ? Et nul ici ne peut nous renseigner
Puisque nous sommes les premiers.
Le serpent ment comme un arracheur de dents
Ne nous fions pas à lui pour faire des enfants,
Il nous a déjà valu pas mal d'emmerdements. "

Comment alors devaient-ils procéder pour procréer ?
Vice et versa, au diable la vertu, ils allaient tout essayer.
À l'envers et à l'endroit, de haut en bas, dans tous les sens,
Y compris à contre-sens, pour qu'arrive à bon port la semence.

L'idée leur vint de demander conseil au Saint-Esprit, une fois,
Et de l'histoire de l'humanité ce fut le premier ménage à trois.

A la tâche avec ardeur nos deux béotiens s'attelèrent
Et furent les premiers authentiques pervers sur Terre.

Ainsi Ève enfanta de son Caïn d’aîné de gosse.
Ayant le mode d'emploi, pour la suite, Abel et Cie,
ce fut plus classique, plus rapide et fastoche.   **

Comme l'a énoncé doctement Jean de la Fontaine,
" Nous devons tout à nos aînés. "

Dans notre longue histoire, que de fois ils furent copiés !

*** fin ***


* légèrement en avance sur son temps !
** c’est à eux que nous devons la nuit de noces.

2018-09-10

T805 - Le zouave et la crue de la Seine.





(Janvier 2018)

Et cette grosse bête qui monte, qui monte
Plus haut, toujours plus haut
La Seine la Seine, ah ! la vilaine vilaine
Qui monte monte et n’en finit pas                                   .

L’eau l’eau l’eau
Là là là
Oh là là l’eau, ô Lola, là là
Plus haut que les godillots
Bien plus haut

Dépassés les genoux, quoi, ça va monter jusque au cou 
après avoir noyé mes guerriers vaillants grelots ?
Gla gla gla du bas à la chéchia, glou glou glou partout beaucoup.
Water, l’eau… Morne Seine – aurait dit Hugo.
Waterloo Waterloo…
Tout mouillé, je n’ai plus un poil de sec,
Foutaise que ce gilet de fortune d’un pseudo plan Orsec.

Que Y-A B. et les télés en des lieux éloignés aillent se rhabiller !
Allô allô ! Envoyez-moi par colissimo de toute urgence un tuba :
Destinataire : Monsieur le Zouave, Pont de l’Alma – ça suffira, on me trouvera
(À livrer à domicile, je suis dans l’impossibilité de me déplacer)


2018-09-03

T804 - Une provocation inutile.

T804 - Une provocation inutile.

Voisine et voisin
La  statue et la rose dans un grand jardin.


L’un, stoïque et massif, par les années marqué,
Dans la roche noircie à jamais sculpté
L’autre, aguichante, un tantinet frivole
Dévoilant volontiers ses charmes sous la corolle.

Émoustiller les mâles endormis sur le tard
est pour la fleur tout à la fois un jeu et un art.

« Hé, le tas de pierre, t‘as quel âge au juste Auguste ? Tu dors ?
Réveille-toi, regarde comme je suis jeune, colorée, svelte et fraîche,
Je me balance au moindre alizé, je bois le soleil et l’eau à pleines goulées
Franchement, ma prestance tu devrais envier,
Car toi, tu es là, indifférent, figé sur ton socle depuis une éternité. »

L’interpellé à la provocatrice calmement rétorqua :

« Pour moi qu’importent la pluie, le vent, le soleil, les frimas
Ce qui, effrontée, n’est pas ton cas, ce que tu ne sais pas.
Vois déjà comme tes pétales commencent à décliner.


Dans ta famille, j’en ai vu passer et trépasser tant et tant.
Tes arrière-arrière grands-mères, et même au-delà
Tes grands-mères, ta mère, tes cousines et tantes
Toutes provocantes, bien vivantes puis rapidement mourantes
Toutes sont parties, après une courte vie, vite flétries.

Qui d’elles se souvient encore, qui s’en soucie ?
Moi, que tu crois sans vie, je suis encore ici.
Comme elles bientôt tu nous quitteras
et je serai impavide toujours là.
Dis-moi, sincèrement, qui de nous deux est à envier ? »

*** fin ***